• Bastien
  • 12/09/2021
  • Focus espèce

Bon nombre de photographes ont pour fantasme de croiser un jour le chemin de la Loutre d’Europe, parfois au même titre que le lynx ou le loup. Selon les dires, si vous voulez avoir une once de chance de l’observer cela ne passera que par une multitude d’affûts avant même le lever du soleil. C’est ce que j’avais en tête et que j’ai appliqué quand je suis arrivé dans le Massif Central en juin 2020. Un an plus tard et contre toute attente, j’ai pu observer et photographier la loutre de nombreuses fois, de quoi vous proposer un article inespéré !

Loutre

Oubliez les préjugés de l’espèce fantomatique, crépusculaire et inabordable

À travers cet article je voulais vous partager cette expérience incroyable mais surtout vous démontrer qu’il est parfaitement possible d’observer et de photographier la Loutre en France, parfois même en pleine journée. Je vous partagerai tous mes conseils pour vous permettre de la photographier dans son milieu purement naturel.

Bien évidemment la quête nécessite beaucoup d’investissement. Vous pouvez toujours effectuer des stages photos dédiés en France ou à l’étranger. Ils vous permettront de photographier facilement la loutre grâce à des appâts ou sur des sites aménagés. Mais n’est-il pas plus valorisant de mener une véritable quête et d’avoir vous aussi votre histoire à raconter ?

Autrefois persécutée…

Pourchassée par l’Homme pour sa fourrure, sa viande mais également pour sa prédation sur les poissons, l’espèce a failli disparaître en France. Au point où vers 1980 l’espèce n’était présente que ponctuellement sur la façade Atlantique et dans le Massif Central, sa population n’était alors estimée qu’à 1 500 individus dans l’hexagone.

Chasse de la Loutre

Principe de chasse de la loutre
© Projet FLIM, ITEM, CNRS-ENS

Chasse de la Loutre

Illustration de la chasse à la loutre
©
Cliché IRHT ; droits collectivité, CNRS et MCC

Le saviez vous ?

La loutre possède une densité de poils record : entre 60 000 et 80 000 poils au cm² ! Cette particularité lui permet d’avoir le poil imperméable en emprisonnant les bulles d’air.

… Aujourd’hui protégée

Malgré les temps difficiles pour notre biodiversité, quelques espèces patrimoniales ont profité de mesures de protection. Interdite à la chasse en 1972 puis protégée en 1981, la Loutre d’Europe fait partie de ces espèces dont la population s’améliore progressivement et tend à gagner du terrain. En Bretagne, en Limousin et dans le Massif Central, terres principales d’accueil de la Loutre en France, les effectifs sont en augmentation. Il n’est plus rare d’avoir écho de pêcheur ou de randonneur ayant observé la loutre. Elle profite de l’amélioration de la qualité globale de nos rivières, des plans de sauvegarde en sa faveur et d’une augmentation de la ressource alimentaire, en particulier avec l’explosion des populations d’écrevisses américaines dans notre réseau hydrographique.

La loutre est l’un des symboles du patrimoine naturel français et de la qualité des cours d’eau. Elle est d’ailleurs l’espèce emblématique du plateau de Millevaches en Limousin et de son Parc Naturel Régional. Elle a également été choisie en 1979 comme symbole de la Convention de Berne, premier traité européen de protection de la vie sauvage et des habitats naturels.

Malgré ces bonnes nouvelles les effectifs restent fragiles et l’anthropisation des milieux naturels (réseau routier, modification des cours d’eau, construction de barrage, déboisement ou sylviculture près des cours d’eau) menace la loutre.

Loutre percutée par un véhicule

Loutre percutée par un véhicule
©
N.Dallongeville – 2015 – Corrèze

Prospectez avant d’espèrer photographier la loutre

Carte européenne loutre

Localisation de la loutre en Europe
© Agence Européenne de l’Environnement

Il ne faut pas espérer photographier la loutre sans faire de véritables prospections. Selon moi la base de la photographie animalière est l’observation et le repérage sur le terrain. Au préalable de vos sessions d’affût, les relevés d’indices de présence et l’identification de secteurs favorables à la loutre sont indispensables.

Bien évidemment, vous ne vous rendrez pas la tâche facile en prospectant le nord-est de la France où vos chances de relever sa présence sont infimes. Le pourtour Atlantique et le Massif Central seront les secteurs français à privilégier si vous souhaitez vous lancer dans la quête de la loutre.

Dans quels milieux trouver la loutre ?

La Loutre d’Europe peut occuper l’ensemble du réseau hydrographique : cours d’eau, étangs, zones humides et même le milieu marin si de l’eau douce est disponible à proximité. Bien évidemment la loutre privilégiera les milieux les plus préservés et les moins fréquentés par l’Homme, telle que les zones de gorge. Mais cette règle n’est pas totalement exacte… J’ai eu l’occasion de l’observer dans certains étangs de pêche en zone péri-urbaine et en pleine journée ! En effet, l’abondance de nourriture, notamment en période hivernale, est une des conditions à la fréquentation de la loutre.

Il n’est pas rare également de l’observer dans certains plans d’eau déconnectés du réseau hydrographique et situés à quelques kilomètres d’un premier cours d’eau ! La loutre est une excellente marcheuse…

En résumé,
les zones à prospecter prioritairement :

  • lPourtour Atlantique et Massif Central ;
  • lPrincipalement cours d'eau et plans d'eau ;
  • lZone préservée et très peu fréquentée par l'Homme ;
  • lRessource alimentaire abondante.

Quels sont les indices de présence ?

Par chance la loutre laisse de nombreux indices de présence bien visibles pour marquer notamment son territoire. Plusieurs indices sont observables sur les berges des rivières :

Epreintes

Les épreintes (à ne pas confondre avec les empreintes) sont les excréments de la loutre. Elles sont plutôt allongées, d’une longueur d’un peu plus de 5cm et sont de couleur rosée quand elles sont fraiches. Ces épreintes constituées généralement de restes de poissons ou d’écrevisses ont une odeur importante et particulière. L’odeur n’est pas désagréable et se rapproche de celle du miel.

Empreintes

Les empreintes sont observables uniquement sur les zones de sédiments fins (vase ou sable) ou lorsque le sol est recouvert de neige.

Restes repas

Les restes de nourriture et particulièrement les carcasses d’écrevisse : la loutre décortique les écrevisses en retirant les pinces et la tête du crustacé. Ces restes peuvent être très nombreux notamment sur les cours d’eau dont les écrevisses américaines se sont implantées.

Que mange la loutre ?

La Loutre d’Europe a un panel de nourriture assez large : poissons, amphibiens, mollusques (anodontes notamment) et crustacés. D’ailleurs notre amie profite de l’explosion des effectifs d’écrevisses américaines dans nos cours d’eau ! En période estivale, lorsque les écrevisses sont actives, il semblerait qu’elles soient une part importante du régime alimentaire de la loutre.

Repas de la loutre

La loutre n’est pas si discrète…

Si vous avez beaucoup de chance, vous pouvez trouver un secteur à loutre sans forcément passer par les étapes de prospections d’empreintes et d’épreintes. En effet, il m’est arivé à plusieurs reprises, d’observer en pleine journée une loutre en train de pêcher en toute confiance sans que je soupçonne sa présence sur les lieux ! La loutre pêche de façon bruyante et peu discrète, trahissant sa présence !

Lorsqu’elle pêche, la loutre plonge la tête la première laissant paraître la partie inférieure de son corps et sa queue hors de l’eau, lui permettant ainsi d’aller en profondeur. Si elle ne soupçonne pas la présence humaine, ses plongeons se succèdent et sont bruyants. De plus, lorsqu’elle évolue sous l’eau à la recherche de proies, des bulles d’air sont facilement visibles !

Les loutrons sont également très peu discrets lorsqu’ils émettent leurs cris de contact. Ces cris que l’on appele « sifflement » sont aigus et forts et peuvent être confondus à des cris d’oiseaux. Ces sifflements permettent aux loutrons de communiquer et de signaler leurs présences à leur mère partie pêcher.

Toutefois si la loutre soupçonne votre présence ou le moindre danger, elle se fera très discrète et utilisera ses capacités de nage incroyables qui vous feront perdre sa trace.

Comment photographier la loutre ?

Une fois que vous avez identifié un secteur occupé par la loutre le gros du travail commence : les séances d’affût.

Lorsque la loutre quitte sa catiche* en quête de nourriture, elle pêche en remontant ou en dévalant le cours d’eau et ne s’arrête que très peu hormis pour dévorer ses proies. Soyez donc attentif elle ne passera devant vous qu’une seule fois et cela ne durera que très peu de temps. Ainsi, pour maximiser vos chances de la croiser, réalisez des affûts de longues durées. Personnellement mes séances étaient toujours supérieures à 3 heures.

Je vous conseille d’affuter en vous accolant à un bloc, à un tronc ou à tout autre élément du paysage. J’utilise pour me camoufler un filet, une toile ou dans certains cas un ghillie intégral..

Attention, ayez bien en tête que la loutre peut venir aussi bien de l’aval que de l’amont…

Pour dynamiser vos photos il est crucial de se mettre au même niveau que le regard du sujet. La loutre passant la majorité de son temps dans l’eau, il vous faudra vous immerger pour éviter un effet de plongée. L’utilisation de wadders est donc vivement conseillée.

Loutre au ras de l'eau
Affut immergé

La loutre est dotée d’une excellente vue sous l’eau, ainsi même si vous camouflez la partie émergée, cela ne sera pas suffisant. Croyez-moi elle repérera très rapidement vos jambes et votre trépied. Pour remédier à cela j’ai conçu une installation très sommaire en tressant des branches autour de petits piquets en bois. En complément j’utilisais un pantalon « ghillie ».

Si votre affût est suffisamment discret et bien conçu, la loutre ne remarquera pas votre présence et vous n’aurez pas de mal à la voir ou à l’entendre pêcher. 

Le saviez vous ?

*Les catiches sont des semblants de terrier situé en berge à proximité immédiate d’un cours d’eau ou d’un plan d’eau. Ces cavités sont utilisées par les loutres pour s’y abriter et pour y mettre bas. Elles sont très souvent situées sur des endroits peu accessibles : amas de blocs, système racinaire des arbres ou dans une zone de ronciers. L’entrée est généralement immergée. La loutre peut utiliser plusieurs catiches.

Quand photographier la loutre ?

J’ai eu l’occasion de la photographier à toute saison. Toutefois deux périodes me paraissent plus propices à son observation :

En Hiver.
Lorsque la température de la rivière est au plus bas, les poissons et en particulier les écrevisses sont quasiment inactifs. A la recherche de nourriture, les loutres se rapatrient parfois sur les plans d’eau pour certains très riches en poissons. C’est une occasion unique de l’observer dans d’excellentes conditions.

Au printemps.
Comme pour la plupart des animaux c’est à cette période que l’activité bat son plein. Mes plus belles observations ont été faites au cours des mois d’avril et de mai. Les loutres profitent de l’accélération de l’activité des poissons, des amphibiens et des écrevisses pour se rassasier.

Lorsque je partage mes photos, la principale réaction des gens est de me dire « Quelle chance incroyable d’avoir vu une loutre et en plus de jour ! ». Je pense sincèrement que, photographier la nommée « panthère des rivières », n’est pas aussi « compliqué » qu’on peut le croire. Bien évidemment vous passerez certainement beaucoup de temps avant de croiser la loutre et encore plus avant de la photographier. Mais je suis persuadé, qu’au vu de sa dynamique de population et de son statut de protection, la quête de l’impossible devient aujourd’hui vraiment possible !

Loutre
Bastien

10 Commentaires

  1. Francoise PRÉVOST

    Sujet très passionnant et enrichissant.
    Belles photos à l appui.
    De quoi être très satisfait et récompensé de toute la patience qu il a fallut.

    Réponse
    • Bastien

      Contents que ca vous ait plu ! En vous remerciant Mme Prévost 😉

      Réponse
  2. Jean-Pierre Cappe

    Salut Bastien,
    En quête de sensations qui alimentent les plaisirs
    Quoi de plus naturel que la photographie.
    Bravo Bastien pour cet article à partager sans modération et les superbes photos et vidéos qui l accompagnent.
    Bien cordialement.
    Jean-Pierre Cappe.
    http://jpnature.blogspot.fr

    Réponse
    • A notre image

      Bonjour Jean-Pierre !
      On est bien d’accord et je sais que tu me comprends parfaitement à ce sujet 😉
      Merci pour ton commentaire, et qui sait, peut être à une prochaine pour un affut loutre ensemble 😉
      PS: Bravo pour ton gypaète !
      Amicalement

      Réponse
  3. Pascal Penduff

    Passionnant !, merci, j’ai compris pour quoi nous craignons la pluie ! (rire!)

    Réponse
    • Bastien

      Merci du commentaire Pascal !
      En effet, nous n’avons pas la même pilosité que la loutre 😉

      Réponse
  4. JOELLE LOURDELET

    Article passionnant sur le lutin des eaux. Jolies photos et vidéos et je comprends aisément que de pouvoir les photographier au niveau de l’eau est vraiment
    le Top mais pas simple à réaliser. Celles que je suis sur mon étang depuis plusieurs années sont visibles quand on se trouve sur une digue. Il m’a fallu 5 années avant d’en apercevoir une de jour. J’ai passé de nombreuses heures dans le froid et la pluie à la surveiller. Pendant la Covid, j’ai trouvé une jeune femelle la tête abimée sur la route en bas de chez moi et je l’ai enterrée dans le jardin. En ce moment, je surveille une famille la maman et trois loutrons avec ma caméra de nuit avec l’espoir qu’un jeune ose se montrer de jour sur l’étang.

    Réponse
    • Bastien

      Merci Joelle ! Vos récits sont vraiment incroyables… On peut vraiment parler de passion ! J’espère que nous aurons l’occasion de nous rencontrer un jour et d’échanger autour de notre passion commune !

      Réponse
  5. Sebastien Passelergue

    Bonjour.
    A quelles plages horaires est il le plus possible de les observer? Plutôt le matin ou le soir?
    Et du coup, à partir de quelle heure commencez vous vos affûts?
    Bravo pour cet article enrichissant et merci pour votre partage!!

    Réponse
    • Bastien

      Bonjour Sébastien,
      Merci pour ce message 🙂
      J’ai suivi plusieurs individus sur plan d’eau et cours d’eau et mes observations tendent vers une activité plus importante le matin.
      Sur les sites quasiment pas fréquentés par l’Homme je l’observais souvent du lever du jour jusqu’à 13h. Idem pour certains sites fréquentés par des pêcheurs mais ces sites étaient très riches en nourriture et les observations se faisaient l’hiver.
      Je vous conseille donc d’arriver sur site le plus tôt possible. Si vous avez un affût prêt et déjà installé et que le site vous permet de vous installer sans bruit vous pouvez vous permettre d’arriver en plein jour. Je le fais régulièrement et je ne pense pas avoir été « grillé » par la loutre.
      Bonne chance dans votre quête et au plaisir de vous lire !
      Bastien

      Réponse

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